Le débat sur un changement de politique envers les drogues a été récemment relancé en France par la publication de divers rapports, notamment de deux rapports parlementaires. Dans ce débat, les mots dépénalisation, légalisation, décriminalisation, etc sont utilisés à tort et à travers. L’enchevêtrement sémantique favorise la confusion et les malentendus au détriment du débat et d’une évolution raisonnée de notre cadre légal. C’est pourquoi les professionnels de l’addictologie et leurs associations, rassemblés au sein de la Fédération Française d’Addictologie, ont souhaité apporter des clarifications sur les termes employés dans ce débat de façon à y apporter la rigueur nécessaire pour être compris et pouvoir dire ce qu’ils disent et non ce que certains voudraient leur faire dire.
Les définitions qui sont données dans cette note ne sont pas issues de dictionnaires mais sont le fruit de contributions de juristes et de recherches menées depuis des décennies que le débat est ouvert. Cette note n’a pas pour objet de faire une exégèse sémantique du Droit théorique, mais de préciser les termes utilisés pour définir des mesures et des changements possibles de politique envers les drogues.
Pour cela, outre la définition des 3 niveaux d’infraction existant dans le Droit français (contravention, délit et crime), sont explicités les 3 termes principaux permettant de situer les différentes orientations des politiques envers l’offre et/ou la demande de drogues: dépénalisation, légalisation, régulation.
En filigrane, pour respecter les fondements du Droit, le minimum de rigueur méthodologique impose aussi de distinguer les actes liés à l’usage de ceux liés à l’offre et à l’accès aux drogues, et de distinguer les actes qui portent atteinte à autrui de ceux qui ne peuvent affecter que soi-même.
Dépénalisation :
Dépénaliser signifie que l’on renonce à punir pénalement un acte considéré jusque là comme un délit.
Rappelons que : un délit est une infraction jugée par le tribunal correctionnel. Il se situe entre la contravention et le crime. Un délit est passible d’une peine d’emprisonnement qui ne peut pas dépasser 10 ans. Il est également passible d’une amende, d’un stage de citoyenneté, d’une peine de travail d’intérêt général… L’usage de stupéfiant est le seul acte ne portant atteinte qu’à son auteur qui, dans le Droit français actuel, est sanctionné comme un délit: tout acte de consommation de ces drogues est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an de prison et assorti d’une amende pouvant aller jusqu’à 3500 €.
Dans le débat sur les drogues, dépénaliser signifie renoncer à punir pénalement l’acte de consommer des stupéfiants.
Cette dépénalisation peut être de niveaux différents. Elle peut aller jusqu’à une déjudiciarisation : ce n’est alors plus une infraction. C’est le cas de l’ivresse alcoolique chez soi qui est déjudiciarisée (mais pas pour autant favorisée) alors que l’ivresse publique est une infraction. Mais elle peut aussi modifier le niveau de l’infraction du délit à la contravention.
La contravention est l’infraction pénale la moins grave. Il s’agit d’une amende assortie parfois de peines complémentaires (ex suspension du permis de conduire). Les contraventions sont réparties en 5 classes selon leur gravité et les peines qui leur sont applicables.
Ainsi, le Portugal a dépénalisé l’usage de drogues en 2001 mais l’usage public reste une infraction, passant à l’équivalent d’une contravention, ce qui permet une interpellation par la police et une mesure de protection (l’obligation de se présenter devant un service d’évaluation pour mise en place éventuelle d’un traitement ou d’une aide).
La dépénalisation de la consommation suppose de préciser dans quelles circonstances l’usage reste une infraction ou pas (usage privé, usage public, conduite d’engin…).
La dépénalisation peut concerner l’usage de certains stupéfiants (le cannabis par exemple) ou de tous (comme le Portugal l’a fait). Bien qu’on l’entende souvent, dépénaliser une drogue ou les drogues n’a pas de sens, et dépénaliser l’usage n’implique en rien une légalisation de l’offre.
La FFA s’est prononcée, dans son livre blanc de 2011, pour une suppression de l’incrimination (ou déjudiciarisation,) donc une dépénalisation de l’usage privé de toutes les substances. La FFA n’a pas souhaité créer un statut particulier au cannabis, et appelle à substituer à la loi de 1970 un cadre législatif » plus cohérent et centré sur l’objectif de réduire les dommages » . Ce qui laisse ouvert les questions d’une dépénalisation de l’usage public et de la légalisation (cf infra) sur lesquelles elle n’a pas pris position.
Le terme de décriminalisation est parfois utilisé comme synonyme de déjudiciarisation, mais il peut être aussi compris comme de renoncer à punir une infraction criminelle.
Un crime est l’infraction la plus grave. Elle est passible d’emprisonnement et parfois d’autres peines : amende, peines complémentaires. Le crime est jugé par la cour d’assises. Les peines d’emprisonnement peuvent être à perpétuité ou fixées à un temps donné (exemple : 20 ans).
En matière de stupéfiants, seuls des actes de trafic sont traités comme des crimes. C’est pourquoi il ne semble pas judicieux d’utiliser le terme de décriminaliser à la place de déjudiciariser. Ce terme a l’avantage de marquer une volonté de sortir l’acte visé du domaine de la justice pour l’inscrire dans celui de la santé et de l’éducation.
Légalisation :
Légaliser signifie donner un cadre légal à quelque chose ou à un acte qui n’en avait pas. Cela signifie ouvrir un accès légal à la substance. Mais une légalisation peut prendre différentes formes, de la plus stricte à la plus libérale, selon les limitations et les contrôles mis en place pour produire, transporter, vendre la substance. Dans le débat sur les stupéfiants, cela signifierait de substituer à la prohibition (qui est un interdit de toutes les étapes et modalités d’offre de la substance en dehors de certains usages médicaux), un système de contrôle par l’État de la production jusqu’à la vente.
Certaines personnalités et associations (comme la Fédération Addiction) se sont prononcées pour une forme de légalisation du cannabis. La FFA ne s’est pas prononcée sur cette question.
Régulation :
Réguler signifie rechercher les moyens politiques et juridiques les plus appropriés pour permettre aux individus et à la société de limiter les dommages liées à l’usage de substances, sans prétendre éradiquer ces substances ni exclure des mesures très restrictives selon les cas. C’est donc une démarche qui cherche à contribuer de façon pragmatique à la maîtrise de la relation entre les personnes et les drogues (ou autres types d’objet de plaisir), mais qui ne défend ni » la guerre à la drogue » ni l’idée d’une libéralisation a priori.
Les positions prises par la FFA et ses associations membres vont dans ce sens.
Les discussions sur ce sujet en font apparaître toutes les ambiguïtés et le caractère éminemment passionnel. C’est la raison pour laquelle la FFA, dans son livre blanc, appelle à ne pas prendre de décisions dans la précipitation, mais à considérer ces questions complexes dans toutes leurs composantes, à ouvrir en France un large débat sur cette question qui est d’abord sociétale et qui nécessite de confronter les points de vue et de faire évoluer les idées et enfin d’appuyer les décisions sur les bases scientifiques existantes.
Le Bureau de la FFA