A travers une question écrite pour madame la Ministre de la santé Marisol Touraine, vous vous offusquez, Monsieur Poisson, que l’Etat soutienne, par des subventions, une association d’usagers de drogues, en l’occurrence ASUD. A travers le micro d’une radio, vous dénoncez de votre côté, Monsieur Brunet, le fait que ce soutien se fasse avec VOS impôts (ceux des auditeurs).
Sachez Messieurs que, depuis sa création, de Madame Simone Veil à Madame Marisol Touraine, cette association a toujours été soutenue par tous les ministres de la Santé, qu’ils ou elles soient de droite ou de gauche.
Ce qui vous offusque c’est tout autant le fait qu’il puisse exister une association d’usagers de drogues en France, qui se revendique comme telle, que sa reconnaissance par les pouvoirs publics.
Pour comprendre cette reconnaissance, il faut revenir 30 ans en arrière, dans ce que l’on a appelé les » années de plomb du Sida. Plus qu’ailleurs dans les autres pays européens, les usagers de drogues en France ont payé un lourd tribu au Sida, à cause d’une des lois les plus dures à l’époque sur les drogues. Non seulement cette loi, votée en 1970, n’a su enrayer la progression de la consommation de drogues en France, mais en plus elle a envoyé les usagers de drogues dans la clandestinité et les a exclus du système de soin. Il a fallu attendre 1988 pour que Madame Michèle Barzach, alors ministre de la Santé, ait le courage de lever l’interdiction de vendre et distribuer des seringues stériles aux usagers de drogues. Et déjà à l’époque, des hommes politiques comme vous, furent scandalisés par cette mesure, ce qui fit perdre un temps précieux en termes de santé publique. Quelques milliers d’usagers de drogues, leurs compagnes ou compagnons et leurs enfants, leur doivent aujourd’hui d’avoir été contaminés par eux.
Jamais l’épidémie de SIDA n’aurait pu arrêter sa progression sans les usagers eux-mêmes. Mais quand on demande à une population de changer ses comportements, il faut d’abord être en capacité de la reconnaître, et de la reconnaître en tant que population citoyenne à part entière. Oui, Monsieur le député et, oui, Monsieur le journaliste radio, un usager de drogues est tout autant citoyen que vous-même, il ou elle n’est ni rebut de la société, ni un citoyen de seconde zone.
C’est dans ce contexte que s’est créé ASUD (Auto-Support des Usagers de Drogues) en 1992, un mouvement citoyen et militant, à l’interface entre les usagers, les professionnels et les politiques. Ceci n’a rien de révolutionnaire, beaucoup de pays européens l’avaient déjà fait. Cela s’appelle la démocratie, certes celle-ci est une arme redoutable et la France la manie avec grande prudence…
De cette alliance est née la politique de Réduction des Risques mise en place en France au début des années quatre-vingt-dix. Non seulement cette politique a permis de réduire considérablement la prévalence du Sida en France, mais aussi les actes de délinquance.
Par l’article 12 de la loi N° 2004-806 du 9 août 2004, la politique de Réduction des Risques est devenue la politique officielle en matière de santé publique ; elle s’adresse à tous les usagers de drogues, à tous moments de leur parcours et si les Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) accompagnent et soutiennent les démarches de sevrage pour les usagers qui en font la demande, ils doivent aussi mettre en œuvre des mesures de Réduction des Risques pour ceux qui, pour un temps donné, ne peuvent ou ne souhaitent pas arrêter.
Aujourd’hui, l’épidémie de Sida est sous contrôle et il serait temps de remercier les acteurs qui ont contribué à vaincre cette épidémie, même si, aujourd’hui, une autre, plus silencieuse, l’hépatite C, frappe durement les usagers de drogues. Mais vous semblez préférer dénoncer ASUD et d’autres associations à la vindicte publique, sous couvert qu’elles reçoivent des fonds publics. Faute d’arguments, vous feignez d’en avancer en parlant d’argent.
Vous voulez parler d’argent ? Et bien parlons-en !
Que représentent ces quelques centaines de milliers d’euros de subventions face aux dépenses en termes de soin, de sécurité publique, de perte d’emploi… Nous n’oublions pas que derrière ces chiffres, il y a aussi des êtres humains, souffrants ou non souffrants, à qui la politique de Réduction des Risques a offert un autre avenir que celui de la maladie.
Pour tout cela, Messieurs, le combat que vous menez et dont Valeurs Actuelles s’est fait le chantre, nous révolte par sa malhonnêteté.
Votre charge contre les associations qui mettent en œuvre la politique de Réduction des Risques est dénuée de tout raisonnement en termes de santé, santé de la personne, santé de la cité.
La politique de Réduction des Risques a fait et continue de faire ses preuves. Les chiffres, les résultats et les preuves scientifiques sont impossibles à nier. A cet égard, nous vous invitons à lire deux rapports publiés récemment par la Global Commission on Drug Policy qui dénoncent, sur la base d’études scientifiques, les conséquences désastreuses de la guerre à la drogue et de l’impérieuse nécessité de développer une politique de Réduction des Risques.
Vous voudriez faire croire que finalement la terre est plate. Et bien non la terre est ronde, et elle tourne !
Cette lettre a été publiés sur le site du nouvel observateur : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/809421-salles-de-shoot-et-politique-de-reduction-des-risques-stop-a-l-hypocrisie-a-droite.html