2/ Les politiques de drogues doivent réorienter leurs priorités vers la réduction des conséquences négatives du marché des drogues et non plus vers la réduction de sa taille
Depuis les premiers accords sur le contrôle international des drogues, au début du xxe siècle, la priorité de la politique a toujours été de s’attaquer à l’offre de drogues illégales, d’une part en empêchant leur production et leur distribution, d’autre part en arrêtant et poursuivant les consommateurs. Cette stratégie se basait sur la conviction selon laquelle réduire l’accès aux substances potentiellement dangereuses est la manière la plus simple et la plus fiable de réduire les risques liés à leur usage. Après cent ans de contrôle des drogues, il existe principalement deux raisons qui expliquent pourquoi ce paradigme est dépassé :
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La capacité des gouvernements et des agences internationales à éliminer le marché mondial des drogues comme le cannabis, l’héroïne et la cocaïne est limitée. Malgré certains succès locaux et la concentration accrue de la production d’opium en Afghanistan et de cocaïne en Colombie, le commerce mondial de ces substances a massivement augmenté durant la seconde moitié du XXème siècle pour, au mieux, rester stable ces dix dernières années. Dans le même temps, les mécanismes d’offre de drogues comme le cannabis et les stimulants de type amphétamine (STA) se sont beaucoup diversifiés, avec un nombre élevé d’opérations de production et de trafic à petite échelle et des niveaux accrus de production domestique, ce qui les expose moins aux efforts nationaux ou internationaux de répression. Les rares fois où l’approvisionnement d’une drogue donnée provenant d’une source particulière a pu être interrompu, les fournisseurs se sont rapidement tournés vers d’autres sources, ou les consommateurs vers d’autres drogues. Que ce soit en termes de prix, de pureté ou de facilité d’accès, les drogues illégales sont aujourd’hui plus accessibles dans la plupart des régions du monde qu’il y a dix ans, époque à laquelle nous avions élaboré une stratégie mondiale qui promettait d' »éliminer, ou réduire substantiellement, la culture de coca, de cannabis et de pavot. La situation actuelle ne peut être considérée comme un succès politique.
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Les gouvernements et les administrations locales ont de plus en plus mis en place des politiques et des programmes qui ne sont pas directement destinés à réduire la taille du marché de la drogue, mais qui ciblent spécifiquement la réduction des risques liés à l’usage de drogues au travers, par exemple, de mesures de santé publique pour prévenir les overdoses mortelles et les infections à VIH, ou encore des actions locales pour s’attaquer aux petits délits liés au marché de la drogue. Les principaux objectifs de ces politiques et programmes sont de réduire les risques de l’usage de drogues plutôt que de réduire l’usage en lui-même. De nombreux gouvernements reconnaissent maintenant explicitement dans leurs stratégies nationales ou locales qu’un certain niveau d’usage de drogues dans leur société est inévitable et que leur responsabilité première est d’en atténuer les risques. Cette position est renforcée par une base de données en expansion qui prouve que des programmes correctement élaborés et mis en œuvre en matière d’éducation publique, de promotion de la santé et de réduction des délits peuvent être efficaces pour atténuer les conséquences les plus néfastes de l’usage de drogues. Le soutien accru à ces programmes a conduit à un écart grandissant entre les politiques locales poursuivies par de nombreux gouvernements et les politiques et investissements de réduction de l’offre continuellement encouragés par des mécanismes internationaux.
Les tensions naissantes entre la simple priorité de lutte contre l’offre et l’ensemble plus complexe de politiques visant à réduire les risques doivent disparaître des stratégies nationales et des programmes internationaux. De nombreux gouvernements intègrent désormais sans difficulté des objectifs liés à l’offre de drogues, à la demande de drogues et à leurs risques. En 1998, les Nations Unies ont incorporé ces objectifs de réduction de la demande à leurs politiques et programmes, en complément de l’objectif précédent de réduction de l’offre. Le prochain défi pour la communauté internationale consistera à trouver un moyen d’intégrer des objectifs et des programmes de réduction des risques dans les accords internationaux.