1 – Comment s’est créée L’association ?
Ville frontalière s’il en est, Perpignan “profite ” du flux qui, du Maroc ou de l’Amérique du sud via l’Espagne, irrigue l’Europe du Nord de certains produits appelés illicites. Avec prés de 300.000 habitants pour la communauté des 36 communes regroupées autour de Perpignan – sur les 467.128 du département – c’est en outre la métropole de l’hexagone la plus éloignée de la capitale, ce qui n’est pas, malgré la décentralisation, un facteur à priori de progrès.
La ville a organisé dès l’été 1994 un grand raout regroupant 72 communes françaises autour de la lutte contre le sida. Dans ce cadre et à la demande du directeur hygiène et santé de la ville, le docteur Bruno Mercier – qui, libre de son attache municipale, présidera plus tard notre Conseil d’Administration – commande une étude sur la délivrance de matériels d’injection.
Cette étude va conduire à la création d’une structure associative totalement “dédiée à la cause ” en octobre 1996, ASCODE, “association des personnes concernées par les dépendances”. Autre moteur de réalisation, citons ici un fonctionnaire de la DGS acquis à cette mission, Jean-François Riufol, qui a donné à l’association l’opportunité et les moyens d’exister.
La mise en œuvre sera toutefois laborieuse ; face aux difficultés à trouver un local, l’association prit le risque – à se demander aujourd’hui comment le Conseil Administration et la banque ont eu l’inconscience d’une telle démarche – d’acheter, grâce à un financement de la préfecture – un restaurant à l’abandon “L’endroit” situé en une de ces zones tampons qui côtoient les gares… à moins de 100 mètres des rails de la future ligne TGV Montpellier-Barcelone…
L’époque bus de nuit – 1997 à 2000
Devant nos difficultés – encore – à ouvrir le lieu d’accueil à l’été 1997, et suite à des négociations ardues avec ceux que l’on nomme les “partenaires institutionnels”, un compromis se fait autour d’un bus, circulant de nuit, solution limitant la stigmatisation d’un quartier et la visibilité du programme. Le bus nocturne, changeant de site chaque soir de la semaine, a permis de créer à partir de mars 1998 les premiers liens avec les usagers sans avoir à subir les foudres du voisinage… le seul coup de fusil dirigé contre le bus par une nuit sans lune dans une zone de squat n’a fait aucun blessé.
Pour connoter le contexte de l’époque, le choix des 5 sites “autorisés ” avait fait l’objet d’une tournée préalable des 24 lieux propices aux échanges et consommations dans la nuit du … 2 janvier ; avec à bord du même véhicule, et encadrant le directeur de l’association, le chef d’équipe de la brigade des stupéfiants, le chef de la police municipale, un délégué de la ville, tous particulièrement ravis de ce lendemain de fête… mais nous étions pressés !
Par dépit de ne pouvoir recevoir les usagers dans notre local, nous avions aménagé l’intérieur du mini-bus sur le modèle du lieu d’accueil, avec salon convivial sonorisé, mini-cafétéria, espace RdR et soins infirmiers… aménagement pris en charge par la mairie et confié à une entreprise spécialisée.
En définitive, ce premier programme nous a fait rencontrer les usagers avec beaucoup d’humilité car nous étions quasiment béotiens – n’est-ce pas Fabrice… – et appréhender ce que nous pourrions réaliser plus tard dans le lieu d’accueil. Et c’est sur ce même bus que nous avons commencé à “travailler” avec eux, notamment avec la participation d’une cohorte d’injecteurs – contre billets de cinéma ! – pour la mise au point de ce que seront successivement les nouveaux filtres des Stéribox® et plus tard les Stérifilt®.
Le programme d’échange de matériels d’injection en officines de ville – PRODEMI – depuis 1999
Lors de son arrivée en 1999 sur le département des Pyrénées-Orientales, notre médecin inspecteur de la D.D.A.S.S. de l’époque Aline VINOT a lancé l’idée d’un programme d’échange de matériels d’injection en officines de ville. Elle nous a surtout donné les moyens de réaliser une étude préalable de type “industriel” sur 9 mois avec étude locale de besoins, visite des modèles nationaux préexistants, phase de négociations et d’élaboration d’un protocole de partenariat, et enfin une phase expérimentale de mise en œuvre.
Grâce à ce travail en amont – renforcé par une formation des personnels des officines et la mise en place d’un groupe de Balint pour les pharmaciens… – nous n’avons pas eu à gérer quelques difficultés que ce soit au niveau du réseau. Qui plus est, le nombre des partenaires s’est pérennisé pour tranquillement s’agrandir de 5 à 12 officines au fil du temps et s’étendre sur 7 nouvelles communes hors Perpignan, notamment dans une zone montagneuse particulièrement peu équipée en matière de dispensation de matériels de réduction des risques. Depuis la création, nous aurons visité 4.595 fois les pharmacies… à raison d’une fois par officine et par semaine.
Le protocole mis en œuvre, à savoir l’échange gratuit au comptoir de l’officine, a permis de multiplier par quatre la diffusion des Stéribox® sur le département – au regard des dernières données INVS de 2010 – et de générer de forts taux de retours des matériels souillés. Un chiffre : 473.176 Stéribox® – soit l’équivalent de 946.352 seringues et matériels complémentaires ont été échangés sur ces 10 dernières années…
Le Programme du lieu d’accueil de jour – PROGAC – depuis 2000
Dès l’origine du projet, nous avions configuré le lieu par référence à trois précurseurs, la boutique Intermèdes à Toulouse, Transit à Marseille et enfin celle du SAPS… à Barcelone, capitale de la Catalogne versant espagnol. La venue de “la” présidente de la MILDT Nicole Maestracchi, sur le terrain perpignanais – une soirée sur le Bus et dans le lieu d’accueil encore vierge de tout usager – leva les réticences locales à l’ouverture du lieu en juillet 2000, après trois années d’attente. “O tempora ! ô mores” : rappelons que c’est l’équipe en place qui avait mis la main dans le béton pour restructurer le local, poser des cloisons en Placoplatre, couvrir les sols de carrelage…
Comme aucun incident avec le voisinage du quartier – ma foi assez distant – ne s’est jamais produit, les riverains n’ont découvert que quelques années plus tard que nous recevions des “toxicomanes”…
Pour éviter les redites, ce lieu a proposé dès l’origine les services attendus dans tout CAARUD de base… confère le référentiel national… Quelques chiffres significatifs sur l’activité lieu d’accueil en 2010 : 7.003 accueils pour une file active de 539 usagers dont 20% de femmes ; 102.822 seringues et matériels associés ; 901 soins infirmiers et entretiens médicaux ; plus de 1.200 actes d’orientations socio-sanitaire…
Le Programme d’accompagnement à l’insertion et au soin – PRAUDIS – depuis 2003
Pour combler le vide laissé par l’arrêt des vacations du bus après que le lieu d’accueil ait été ouvert, un embryon d’équipe a joué le rôle de relais et d’orientation vers le dispositif local de droit commun. Puis, la charge de travail augmentant sur la boutique et diminuant sur le bus, l’équipe a réintégré le local.
Ce qui est devenu aujourd’hui “l’équipe d’accompagnement des usagers de drogues à l’insertion et au soin” est né du programme, crée en 2003, d’accompagnement des usagers vers le dispositif socio-sanitaire local. L’inclusion dans un protocole spécifique – car régulariser les droits implique levée de l’anonymat – prend en compte un bilan social et sanitaire en concertation avec les trois pôles que sont la coordinatrice de l’équipe d’accompagnement, celle du lieu d’accueil et notre médecin référent.
Les résultats déjà enregistrés – une file active spécifique de 124 usagers pour 158 accompagnements physiques en 2010 – bien que gros consommateurs de temps – sur des cas de dépistage, obtention des droits, hébergement pour des cas psychiatriques… – nous encouragent à renforcer ses moyens. Outre le réseau associatif acquis au projet, il faut souligner que les années passées ont permis » d’amadouer les professionnels de santé qui sont devenus, au fil du temps, des partenaires faisant preuve de réelle disponibilité, même un vendredi soir, et malgré le régime des 35 heures… que se soient les différents services hospitaliers – services SMIT, gastro-entérologie, CSAPA… – ou les libéraux… De fait, dans la continuité de son action, l’équipe a organisé dès 2005 les sessions dans nos locaux avec des prestataires pour le dépistage – CIDAG du Conseil général pour VIH, hépatites virales et syphilis – et les vaccinations avec le Service des maladies Infectieuses du CHG.
L’habilitation de CAARUD – depuis décembre 2006
La loi du 9 août 2004 et les décrets et circulaires afférents ne nous ont pas particulièrement perturbé car n’ont pas nécessité en interne de modification, tant fonctionnelle qu’opérationnelle… ; nous avons vécu cette nouvelle étape comme une reconnaissance du métier que nous exerçons, et les visites contractuelles ou de » bon voisinage de l’ex DDASS et DRASS nous ont confortés dans nos actions.
Si nous devions parler gestion – et même si à l’origine, nous ne répondions pas que des seuls financements publics – nous avions, dès le premier exercice, intégré la mission d’un Commissaire aux Comptes et notre Assemblée Générale se tient invariablement, depuis 1998, au cours du mois d’avril.
Dans ce même état d’esprit, les outils de suivi de l’activité des programmes nous permettent de savoir, en temps réel, à qui – tant qu’il conserve l’usage de son surnom – nous avons distribué un tampon alcool le 16 juin 1999… ou comment a évolué le flux des dons de kits et des retours de matériels souillés dans une des pharmacies partenaires de la sous-préfecture de Prades sur les 5 dernières années écoulées. Cet outil, devenu un progiciel spécifique pour CAARUD, sous le nom de SYGAC, a d’ailleurs essaimé dans quelques autres établissements…
2 – Quels sont les derniers projets ?
Le cadre conceptuel de nos actions reste fidèle à celui énoncé par la médecin-psychiatre Marie-Jo Taboada dès 1994 qui définit la posture de l’accueillant par la devise ” il faut accepter d’être là et de ne rien faire, que l’espace soit un lieu d’accès… ” … tout un programme. Pour enfoncer le clou nous citons depuis 2006 les mots du psychanalyste Sidi Askofare “il faut accepter de réfréner sa frénésie de vouloir soigner et laisser l’autre être et apprendre à l’écouter ”. L’équipe avoue sans honte et de manière cyclique, quelques interrogations sur les dichotomies apparentes entre ces propos et ses actes… dont elle peut d’ailleurs discuter mensuellement avec son psychanalyste attitré.
En bref, l’équipe médico-éducative a partagé depuis l’ouverture du lieu d’accueil en 2000 la clinique de plus de 45.000 accueils à fin 2010 ; elle s’avère particulièrement homogène dans son implication, à la fois professionnelle et militante… c’est possible. Le médecin que nous avons réussi à apprivoiser – riche de son expérience d’urgentiste, de vacataire du SMIT pour VIH et VHC, et en centre pénitentiaire… est avec nous depuis l’origine et ne s’en est toujours pas lassé…
Pratiquement, la réduction des risques reste au centre de nos interrogations. Parmi les derniers projets réalisés, nous pouvons évoquer les plus significatifs :
- au cours de 2008, étude préalable à la mise en place de nouveaux matériel d’injection en liaison directe avec nos amis anglo-saxons d’Exchange Supplies® sur le modèle proposé dans le programme “nevershare syringe” ; les résultats de notre étude de cohorte sur 6 mois menée avec usagers et professionnels nous ont confortés dans le choix complémentaire aux Becton Dickinson®, de nouvelles seringues Braun® – de couleur neutre – avec l’utilisation de cupules et embouts colorés, contribuant à minorer le risque d’échange involontaire de matériels lors de pratiques de groupe : simple, efficace, aux normes… Les nouveaux matériels avec les protocoles associés ont été mis en place en février 2009. En 2010, au sein du lieu d’accueil, les volumes des deux types de seringues ont tendance à s’équilibrer : 46.090 BD® vs 54.037 Braun®.
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à compter de 2008, sur le modèle des vacations in situ de dépistage déjà pérenne depuis 2006 avec le CIDAG, pérennisation dans nos locaux de campagnes annuelles de vaccinations – hépatites, Pneumo 23, DTP… – en coopération avec le SMIT du CHG qui est un de nos premiers partenaires ; bien évidemment, dans les deux cas de dépistage et vaccinations, même si cela se déroule dans nos locaux, ce sont nos partenaires qui officient dans le respect partagé de l’éthique de chacun…
- depuis fin 2009, reprise de la desserte des 5 pharmacies de la ville de Perpignan – merci monsieur le maire-sénateur et merci à Jean-Luc Romero – à laquelle s’ajoute l’extension du réseau des pharmacies partenaires sur quatre communes d’une zone montagneuse du département jusqu’alors » oubliée en matière de réduction des risques ; nous sommes donc présent sur 8 groupes de communes du département – dont la préfecture et les deux sous-préfectures – qui totalisent 72% de la population du département. A noter qu’une interruption même brève d’un mois comme en 2004, induit des perturbations, et certainement des contaminations supplémentaires – dans la circulation des usagers et des pratiques d’injection…
- depuis février 2010, intégration du programme d’accueil exclusivement réservée aux » femmes avec ou sans enfants en réponse à l’appel d’offres de la MILDT ; exclusivement animé par des femmes, à l’écoute d’autres femmes dont le genre augmente certaines vulnérabilité liées au » monde de la toxicomanie la plus dure ; il a fallu d’abord transformer le lieu d’accueil mixte en un espace où une parole intime puisse advenir, préservée de présence masculine obérante ; parole facilitée par la présence d’une psychologue ; la patience a été de rigueur pour que les usagères prennent possession, avec succès, des lieux…
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troisième projet, dont l’origine remonte à 2006… nous avons posé le 14 mars 2011 la première pierre d’un nouvel immeuble dessiné ad hoc, à la mesure des programmes de RdR actuels et intégrant des fonctionnalités “ouvertes”, comme par exemple un bâtiment annexe pour des programmes complémentaires en partenariat avec des équipes externes au CAARUD, comme le CIDAG du Conseil général, le SMIT de l’hôpital général de Perpignan… et pourquoi pas un programme de méthadone bas seuil ou une salle de consommation à moindres risques… l’emménagement du lieu d’accueil est prévu pour le milieu de décembre 2011.
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enfin, au cours de l’exercice 2010, nous avons travaillé sur l’étude préalable d’un dispositif » Méthadone Bas seuil sur Perpignan, en collaboration avec le CSAPA de l’hôpital psychiatrique. Le programme ferait référence à celui déjà existant du Bus 31/32 sur Marseille qui a accueillit pendant une semaine de juin notre équipe d’étude. A l’heure actuelle reste à décider pour l’ARS si la structure de bas seuil – le CAARUD – peut assumer cette mission.
3 – Comment voyons-nous l’avenir ?
Le champ de la RdR s’amplifie et mute, comme nous en avons déjà fait le constat au cours des 12 années écoulées, donc pas d’inquiétudes… La tentation permanente pour les équipes est d’en faire toujours plus… mais dans quelles limites ? Le “paradigme de l’escargot” qui prévalait à l’origine de la création des boutiques a certainement besoin d’être repensé…
Il serait irresponsable de passer sous silence la situation économique de notre pays qui génère, bon an mal an, son quota croissant de marginalité sociale et sanitaire. De même, il serait hypocrite d’oublier que même si la prévalence du VIH a subit un net recul depuis la mise en place des Programmes d’Echange de Seringues – aucune contamination décelée sur les 150 dépistage réalisés en interne à ASCODE – il reste statistiquement supérieur à O, et que le VHC a pris son relais avec, quoique l’on fasse, son propre quota de 10% de séropositivité supplémentaire annuelle pour la population qui nous concerne… quelques soient nos efforts ?!
Se profilent en sus les conséquences d’une professionnalisation des établissements de première ligne et le jeu de rôle à définir sur le terrain avec les partenaires imposés comme les CSAPA… Face à cela, notre association n’a ni l’envie ni le souci d’être autre chose qu’une structure – tant pis pour le politiquement correct – consacrée au bas seuil d’accès, qui accueille ceux qui trouvent ailleurs portes closes, ceux là même qui » ne veulent ou ne peuvent se soigner. Notre propos d’être à leur côté eux reste encore plus d’actualité.
Dans le département, nous devons avouer que, sans être d’une perfection utopique, le fameux dispositif de droit commun réserve de bonnes surprises et que les partenaires des secteurs tant privés qu’hospitaliers ont fait, depuis les combats militants de l’époque sida, certains progrès. Un gros bémol récurrent : l’accès au logement…